Préparez-vous pour la newsletter

La newsletter de l'autrice et créatrice du compte Préparez vous pour la bagarre

image_author_Rose_Lamy
Par Rose Lamy
29 oct. · 4 mn à lire
Partager cet article :

"On se lève et on se casse !" : résister à la culture de l'évitement

On se lève, et on reste.

« Désormais, on se lève et on se barre » est le titre d’une tribune de Virginie Despentes, publiée le 1er mars 2020 dans le journal Libération, quelques jours après la cérémonie des César. Roman Polanski est alors nommé dans 12 catégories pour son film J’accuse, et depuis plusieurs semaines, la polémique fait rage, au point qu’il décide de ne pas se rendre à la cérémonie, où une manifestation féministe se tient devant la salle Pleyel.

Le réalisateur a été jugé et condamné pour atteinte sexuelle sur mineure en 1977. Alors qu’il attendait un nouveau jugement aux États-Unis, il s’est enfui en France pour échapper à un procès. Il est depuis officiellement un fugitif recherché par Interpol, mais la France n’extrade pas ses ressortissants. Il possède la nationalité française par sa mère et est accusé par d’autres femmes de violences sexuelles.

Quand il reçoit le prix du meilleur réalisateur, Adèle Haenel se lève et quitte la salle en criant « La honte ! Bravo la pédophilie ! » La tribune de Virginie Despentes revient sur cette séquence, et le texte m’a bouleversé, parce qu’il mettait des mots sur une colère immense, qui avait commencé à se libérer face à ce vieux monde récalcitrant, sourd à #metoo. Je faisais partie des manifestantes autour de la salle Pleyel ce soir-là. Pour être exacte, j’étais dans le cortège qui avait été coupé avenue Wagram et qui n’avait pas le droit de rejoindre la salle Pleyel.

On se casse. Faites vos conneries entre vous. Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres, tuez, violez, exploitez, détruisez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse. C’est probablement une image annonciatrice des jours à venir.

C’est, dans mon souvenir, un des seuls textes publiés la semaine suivant la cérémonie qui ne relevait pas de la sentence conservatrice et réactionnaire. Chaque jour après ce 29 février, tombaient des éditos dans la presse que je résumerais ainsi : « Vous allez la fermer maintenant, c’est nous qui décidons ». J’ai d’ailleurs consacré une partie de mon ouvrage Défaire le discours sexiste dans les médias à cette séquence anti-féministe.

On se demandait alors comment les choses allaient tourner entre ces vieux culs qui n’entendaient pas lâcher un centimètre de terrain à #metoo et la nouvelle génération en feu qui, quelques mois auparavant, avait mobilisé des centaines de milliers de femmes et de féministes dans la rue, lors de la manifestation historique de Nous Toutes en 2019, en plein acte des gilets jaunes. Puis le Covid est arrivé, et la lutte collective n’a jamais repris avec la même intensité.

Vous êtes une bande d’imbéciles funestes. Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable. On se lève et on se casse. C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde.

Ce texte m’avait fait du bien : il avait mis en forme ma colère et m’avait motivée à ne plus rien lâcher. Mais j’ai toujours su qu’il y avait un problème avec le slogan « On se lève, on se casse ». Je le corrigeais toujours en plaisantant : « On se lève, et on reste. »

...