Elle met du vieux pain sur son balcon : le célibat féminin dans la chanson
Misérabilisme, Backlash anti féministe et pop music au programme de cette dernière Newsletter sur consacrée aux tubes de l'été.
Dans le premier épisode de la newsletter, nous avons évoqué la représentation idyllique du célibat masculin dans la chanson française, où l’homme célibataire, qu’il soit un vieux garçon endurci ou simplement entre deux relations, mène une vie paisible loin des mégères.
Mais pour les femmes célibataires, c’est une tout autre histoire. La figure de la « vieille fille » hante la musique pop française, servant d'épouvantail à celles qui oseraient ne pas placer l’amour au centre de leur vie ou ne pas se rendre disponibles pour le premier homme moyen qui passe.
Dans la chanson Vieille fille interprétée par France Gall, l’urgence est palpable : l’idée véhiculée est que n’importe quel homme sera mieux que personne. Ce besoin presque désespéré d’éviter le célibat abaisse encore davantage la barre imposée aux femmes en matière d'exigences amoureuses.
Les paroles sont explicites :
Vienne un homme des champs
Vienne un homme de la ville
Riche ou sans argent
Un savant, un imbécile
Poète ou militaire
Un joueur de mandoline
Par pitié je ne veux pas
Mourir vieille fille.
Ces vers, écrits par un auteur hommes pour une interprète féminine, illustrent une vision réductrice et inquiétante : les femmes doivent accepter n’importe quel partenaire pour ne pas finir seules, renforçant ainsi un discours qui sert avant tout les intérêts masculins. La suite de la chanson ne fait que renforcer cette idée, suggérant que ce désespoir pourrait justifier une tolérance, voire une acceptation des comportements toxiques, comme l’alcoolisme, souvent corrélé à la violence conjugale. Le sacrifice personnel pour éviter la solitude devient ici un devoir.
Il pourra boire au café
Tout ce que j'économise
Maintenant à vous de juger
Si je vaux la mise.
La brave grande sœur de la chanson d’Hugues Aufray, prénommée Céline, a déserté le champ de l’amour romantique et subit le célibat par devoir familial. Ou peut-être est-ce l’histoire que son petit frère se raconte, alors qu’elle mène la vie de son choix. Le narrateur exprime en tout cas une forme de compassion condescendante. Après avoir répété plusieurs fois “Tu aurais pu rendre un homme heureux”, il ajoute que “sa vie n’est pas perdue” et c’est cette précision qui nous fait comprendre que c’est exactement ce qu’il pense. Le célibat est présenté comme une tragédie personnelle, une vie incomplète malgré le soutien apporté à sa famille.
La vieille fille de Jean-Jacques Goldman n’a pas de nom, mais vous la connaissez pour son fait d’arme majeur : « mettre du vieux pain sur son balcon ».