On parle souvent de l’écart grandissant entre élus et citoyens : et si la véritable crise venait du comblement de ce fossé plutôt que de son accroissement ?
L’autre jour, j’ai eu une épiphanie. L’image est très belge, mais je crois qu’une ampoule de bande dessinée s’est allumée au-dessus de ma tête. C’était en écoutant l’interview de Vincent De Coorebyter, professeur de philosophie politique à l’ULB, dans le podcast Les Clés, consacré à la démocratie :
On parle souvent de la crise de la démocratie ou de la représentation en utilisant la métaphore du fossé entre les élus et les électeurs. Je pense au contraire que la crise vient du comblement de ce fossé : il n’existe plus cette distance sociale et intellectuelle entre un peuple modeste et une élite perçue comme supérieure.
Selon lui, le peuple, désormais massivement scolarisé, ne considère plus les responsables politiques comme des figures sacrées, supérieures en savoir ou en sagesse. C’est vrai : ils sont de plus en plus considérés comme des égaux, des personnes au service du peuple, mandatées par le vote, rémunérées par les impôts et redevables devant celles et ceux qui les élisent. À ce titre, le 8 octobre 2025, en France, Sébastien Lecornu a précisé que les ministres de son premier gouvernement, tombé après 842 minutes d’existence, ne toucheraient pas le indemnités prévues pour les anciens ministres. La décision est venue après une vague d’indignation sur les réseaux sociaux : pour une majorité de Françaises et de Français, il était impensable qu’un tel privilège soit accordé à des personnes qui n’avaient pas pris leur poste.On a vu s’inverser le rapport hiérarchique : la question relevait, symboliquement, de la décision du « supérieur hiérarchique » des ministres : le peuple.
Cette idée, en apparence simple, opère un renversement vertigineux. Elle déplace le diagnostic : nous ne serions pas face à une rupture entre représentants et représentés, mais à une démocratisation de la compétence qui fragilise le principe même de délégation.
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