Avoir un bon copain : célibat, homoérotisme et misogynie dans les chansons.

Miossec, Joe Dassin, Nekfeu, Serge Lama, Big Flo & Oli, Jean Ferrat et Feu ! Chatterton dans le même bateau pour chanter l'amitié entre hommes !

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En 2003, je rejoins mon ex à Bordeaux après avoir complètement raté ma fac d’histoire. Je l’avais rencontré deux ans plus tôt, sur Internet, quelques mois après avoir obtenu mon bac. Étonnamment, nous étions dans le même lycée, mais nous ne nous étions jamais croisés. C’est l’été quand j’emménage dans son studio près du centre ville, pour me réorienter dans ce qu’on appelle les musiques actuelles.

J’étais amoureuse, je crois, mais je ne vibrais pas vraiment. Je cherchais ma dose de ces sentiments écorchés, épiques, romantiques, que j’entendais jours après jours dans mes chansons préférées. J’apprenais en réalité à mal aimer et à disqualifier les thèmes de l’amour que l’on chante rarement : la douceur, la confiance, le respect, l’indépendance. J’allais à l’encontre de mes instincts, contre le bon sens aussi, portée par ce qui semblait être la devise de mon nouveau milieu : « sex, drugs and rock’n roll ».

Le sexisme et les idées sombres autour de l’amour se sont peu à peu insinués dans ma vie, à mesure que j’intégrais la filière musicale. J’ai obtenu mon premier stage en tant qu’assistante de communication dans un label indépendant. J’avais déjà fait du bénévolat dans plusieurs festivals et pensais impressionner mon « maître de stage » grâce à ma connaissance approfondie des artistes du catalogue. Quelques jours plus tard, autour d’une bière, il dit à son colocataire, en parlant de moi à la troisième personne et en ma présence, que j’avais été recrutée pour mes gros seins. « Oh, c’est de l’humour », a-t-il ajouté. C’était la première humiliation sexiste d’une longue série.

La manifestation la plus spectaculaire de la déprogrammation mentale associée au secteur musical, est sans doute la manière dont ce milieu a court-circuité ma solidarité avec les autres femmes. En tant que manager, il m’arrivait de partir en tournée avec mes artistes. Je les observais, silencieuse, ainsi que les techniciens, embrasser leurs femmes et enfants sur le parking où était garé le minibus, avant de partir. Je savais que, si l’occasion se présentait, ils amèneraient une jeune groupie dans la chambre d’hôtel bon marché qu’ils occuperaient ce soir-là. Pire, un de mes anciens supérieurs avait « une femme dans chaque port », comme on dit. Il s’affichait avec une femme dans notre ville, que je croisais régulièrement au travail, et une autre, à une centaine de kilomètres, avec laquelle il se montrait en public comme si de rien n’était. « Tout le monde savait », mais personne n’en parlait, même entre collègues. Le silence était tacitement imposé, comme un secret de famille. Je n’ai rien dit non plus, évidemment. Peut-être qu’ils avaient un arrangement. C’était leur vie privée, cela ne me regardait pas. Ces poncifs, que je me répétais pour apaiser ma conscience, ne parvenaient pas à étouffer l’inconfort que je ressentais à l’idée de mentir, même par omission.

Compagne mégère associée à l’ennui ou groupies dévergondées. La maman et la putain. Ces mythes misogynes qui structurent l’industrie musicale et se retrouvent, sans surprise, dans les paroles des chansons que l’on fredonne innocemment. On nous présente, chanson après chanson, un monde où les femmes sont dépeintes comme des contraintes, des freins à la liberté, des sorcières briseuses de cœur ou des « salopes », envisagées comme des éléments perturbateurs dans un idéal de liberté totale et d’amitié supérieure entre hommes.

C’est ce que j’appelle le discours « bons copains » – une sous-branche du discours des bons pères de famille ?

Ô la belle vie, sans amour, sans soucis, sans problèmes...

Nombreux sont les chanteurs qui assument ou revendiquent la vie de vieux garçons.

Pour les Compagnons de la chanson, le célibat apparaît comme le seul choix de vie rationnel :

Pas de femme à la maison,
Et tant qu'on aura un p'tit brin de raison,
On restera vieux garçon.

...

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Par Rose Lamy

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