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Par Rose Lamy
23 avr. · 6 mn à lire
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E01 Rencontre avec Gauvain Sers : mépris culturel et rapport au réel. Partie 2.

Christine Angot, Ken Loach, Christophe Honoré & Guéret au programme de ce premier entretien avec le chanteur Gauvain Sers. Episode en deux parties. Partie 2

Avant de commencer, petit rappel promo pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi. J’ai sorti un Bingo des Bons pères de famille et du mépris de classe dans les médias en collaboration avec Anaïs Bourdet de Mauvais Cie. On a lancé des précommandes pour se faire une idée du nombre de cartons à fabriquer.

Si vous voulez le précommander c’est par ici

Suite de l’entretien avec Gauvain Sers, pour relire > l’épisode #1

RL : Parlons de la séquence avec Christine Angot. J’ai commencé à regarder pas mal d’archives de On n’est pas couché, et je me suis dit qu'il y a un truc dans le programme autour des agressions classistes de chanteurs et chanteuses, d’auteurs et autrices populaires. C'est systématique… donc je ne sais pas si ça t'aide mais ils ont fait pareil pleins de gens. Je pense à une séquence difficile où  Yann Moix lit les paroles des textes de Shy’m en ironisant et en expliquant à quel point c’est simple et nul. Glaçant.

GS : Ce que je vais dire à ce sujet rejoint un peu ce dont on a parlé au sujet d’Honoré, mais en gros Christine Angot m’attaque sur la chanson Mon fils est parti au djihad qui est inspirée d'une histoire vraie. 

RL : Encore le réel ! 

GS : Ce qui m'intéressait dans la chanson, c'était justement de montrer que ce genre de choses, c'est-à-dire la radicalisation extrême en ligne pouvait arriver à Monsieur et Madame tout le monde. C’était le sens de la chanson : tout endoctrinement, religieux, ou pas, d’ailleurs, peut arriver à n’importe qui. En moins de six mois, le gamin dont je parle dans le morceau est passé de «pas du tout dans la religion » à 6 mois plus tard, se faire exploser en Irak. 

Et je trouvais que c’était un sujet de chanson. J’ai rencontré la maman après avoir l’avoir écrite. Maintenant c'est quelqu'un que je vois régulièrement. A chaque fois que je vais jouer dans sa région, elle est là, on se voit avant le concert, après le concert etc. C’est devenu quelqu'un pour qui j’ai vraiment une  tendresse particulière. Tu la trouverais géniale, elle est extrêmement touchante. Et cette femme a perdu son enfant en 6 mois… elle l’a vu dériver… Par internet, quelqu'un l’a manipulé. 

RL : C’est une chanson où tu chantes de son point de vue ? Elle aime la chanson ? 

GS : oui elle est très touchée par la chanson. Elle m’avait même offert une petite guitare pour me remercier que j’ai dans mon appart, on a une vraie relation. Et quand Christine Angot attaque ça… je trouve ça dégueulasse parce qu’en fait, elle ne s’est pas pas renseignée… elle est  incapable de comprendre qu'en fait c’est l’histoire d’une vraie vie. 

Extrait de la chanson : 

Croyant aider des jeunes malades

Mon fils est parti au djihad

Croyant aider des jeunes malades

Mon fils est parti au djihad

Mais merde c'était rien qu'un gamin

Et hors de ma vue cette photo

Avec un fusil à la main

C'est pas lui, pas mon Pierrot

Les paroles de Gauvain Sers mettent des mots sur un phénomène nouveau raconté dans l’article Qui sont les jeunes Jihadistes français ? Paru dans la revue Rhizome. 

« Avant la guerre civile en Syrie en 2013, parmi les Jihadistes il y avait exceptionnellement des jeunes de classes moyennes. Depuis 2013, ils forment, à côté des jeunes des cités, une partie importante des Jihadistes en herbe qui se sont rués en Syrie pour se mettre au service soit de l’État Islamique (Daech) ou d’autres groupes Jihadistes comme le Front de Victoire (Jihat al Nusra) d’obédience Al Qaida. »

Ces nouveaux profils issus des classes moyennes, blancs, d’éducation religieuse non-musulmanes représenteraient 5000 des jeunes européens partis en Syrie. L’article rappelle, comme dans le texte de Gauvain Sers, que ces jeunes-là ne sont pas recrutés sur des bases religieuses, mais de défense des opprimé-es. « Plusieurs logiques interfèrent qui poussent à leur départ. Tout d’abord une vision distordue de l'humanitaire. »

RL : C'est clair que ton analyse rejoint celle que tu as proposé sur Christophe Honoré. L’incapacité à reconnaître la vie des autres s’il n’y a pas un vernis « fréquentable » dessus.

GS : Et en fait moi c'est vraiment ce qui m'anime et ce qui m'intéresse le plus dans le fait d'écrire des chansons. Raconter des vies, parler des autres en fait. 

RL : Oui tu as un besoin ou une envie de restituer.

GS : oui de restituer ce qui va me toucher chez les autres. Et c’est souvent des gens qui n’ont pas trop la parole. J’aime leur redonner à travers des chansons plutôt que de parler comme on le fait souvent des paillettes et des états d’âmes des chanteurs issu d’un petit microcosme. 

RL : Et donc ça te rend catalyseur… paratonnerre du mépris de classe au final. 

GS : Oui, je me suis habitué et ce n’est pas grave. J’essaie d'être en paix avec ça. Au moins je fais des chansons qui me ressemblent. Et c'est pareil dans le milieu de la musique. Dans tes dernières questions, tu me demandais quelque chose du genre “est-ce que tu ressens de l'élitisme dans la musique”. Effectivement le fait de parler de ces sujets, ça m’exclut du club des groupes branchés du moment, je ne vais pas faire rêver, en tout cas l'élite de la musique parisienne. Mais quelque part je m'en fous un peu parce que je fais des chansons que j’assume. Je n’ai pas envie de me travestir pour faire fantasmer 50 personnes qui font la pluie et le beau temps dans ce milieu-là. 

RL : C’est vrai que tu aurais pu prendre la direction de leur dire ce qu’ils ont envie d’entendre, parler de la campagne où on va en vacances plutôt que de parler des problèmes des zones rurales. Tu ne le fais pas. 

Ce qui m’a frappé dans la séquence On n’est pas couché, c'est la haine qui se dégage de Christine Angot. Si tu regardes les mots seuls, il y a évidemment la répétition de la formule « Quelle bêtise » , et on devine qu’elle se retient de dire que c’est nul à un moment. Mais ce n’est pas « pire » que La Tribune d’Honoré. Pourtant on en ressort glacé. Je crois que ce qui participe à la violence c’est qu’elle est défigurée par la colère et le mépris. C’est physique, c’est dans son corps.

GS : Je ne sais pas si c'est intéressant mais j’étais assis à côté d’elle toute l’émission et je pouvais lire ses notes. Ça disait que c’était bien écrit ou des questions comme « pourquoi vous écouter vous plutôt qu’un autre » mais ça allait, je me disais que je n’allais pas me faire dégommer. Mais plus tôt il y a eu une séquence qui n’a jamais été diffusée où on m’interroge sur les violences policières et ou je réponds quelque chose du genre « je suis rarement du côté de la police ». Ce qui la fait vriller à ce moment-là. J’ai vraiment l’impression que sa critique ensuite est en lien avec la colère que cette phrase a provoqué en elle. Elle ne se contrôle plus,  elle se lâche et je pense que ce qu’elle dit n’est pas prémédité.  Je pense que ça ne l’était pas. Elle ne semblait pas avoir écrit « c’est d’une bêtise ».

RL : … tu vois je pense que c'est en réaction à l’incarnation physique de sa violence qu’on réagit. Toi tu es cadré hyper près, ils font un gros plan bien serré sur toi, en espérant que tu craques et ce qui a du choquer les gens, je ne sais pas j’imagine, en tout cas ce qui m’a choqué moi ce n’est pas tant les mots mais la violences non verbale inscrite sur son visage, le fait qu’elle refuse même de te regarder, de t’accorder d’être présent à ses côtés - on revient au refus de connaître. Et cette image de ton visage qui reçoit l’humiliation aussi fait mal. Il y a un truc purement instinctif, qu’on reconnaît quand on l’a déjà vécu, et qui glace. 

Il y a aussi cette haine dans l’édito  d’Honoré. Elle se devine dans les mots choisis : 

populiste

idéologie gâtée

redoutable efficacité démagogique.

obscénité  

On aurait tort de ne pas s’en méfier

Rien ne m’a plus terrorisé cette année que le clip de Gauvain Sers sur sa chanson Les Oubliés. 

m’a procuré un écoeurement

nous ne méritions pas ça. 

Il leur suffit de quelques notes pour s’installer, nous envahir, et se mettre à régner. 

Qu’est-ce qui se joue ici pour qu’un mec qui fait des chansons populaires représente une telle menace à leurs yeux ? Qu’est-ce qu’il déclenche en eux ?


__

GS : Moi je suis ok avec le fait de critiquer les œuvres, c’est juste la manière de faire. Et puis le fait d’insulter tous les gens qui écoutent. 

RL : ça me rappelle cette phrase d’Honoré aussi : « Quand c'est pour faire semblant de nous plaindre et désigner nos oppresseurs, mieux vaut-il baisser le volume et de celui qui chante et de ceux qui l'écoutent ». Si on n'est pas au plein cœur des oubliés….

GS : C’est tellement méprisant… quelles que soient vos revendications. …


RL : ils veulent le silence en fait… 

GS : Et pourtant, et pourtant… ces dernières années il n'y a jamais eu autant de revendications sociales. Il y a eu les gilets jaunes c'était énorme. Aujourd'hui on a un peu oublié mais c'était hallucinant ce qui se passait. Les soignant.es pendant le covid c'était énorme aussi. La réforme des retraites : il n'y avait pas eu autant de manifestant.es dans les rues depuis  25 ans. Ensuite il y a eu la mobilisation contre les violences policières, le comité Adama…

RL : Il y a eu la grande manif contre la loi sécurité globale aussi, Black Live Mater, les grosses manifs féministes du 25 novembre, du 8 mars. 

GS : récemment encore, les agriculteurs, c'était dingue de voir des tracteurs à Paris. Enfin, je veux dire, c'est jamais arrivé. An quatre, cinq ans, on a assisté à une dizaine de mouvements sociaux énormissimes… 

RL : Tu as réagi comment après l’édito ?

GS : J’avais très envie de répondre à l’époque, et je m'étais forcé à ne pas le faire. Les Inrocks n’arrêtaient pourtant pas du poster le truc en me taguant en mode « Vas-y réponds ». Depuis la Une de Bertrand Cantat, c’était plus trop ma tasse de thé, c’était carton rouge direct. Donc du coup j'ai pas répondu et puis finalement en fait ils ont tellement peu d'abonné.es et tellement peu de résonance que le truc a fait « plouf » direct. 

RL : Concernant On n’est pas couché, la résonance a été énorme par contre ?

GS : Tu m'avais posé la question, est-ce que est-ce que j'ai été préparé ? Je n’avais rien préparé, et je le regrette aujourd'hui. J’aurais voulu écrire quelque chose à la Patrice Leconte face à Zemmour. C’était brillant en fait, de répondre par l’ironie et l’écriture, sans partir dans un débat sans fin. Je m'étais juré en allant à cette émission que ça ne partirait pas en polémique. Je m’étais dit, « quoiqu’il arrive, tu gardes ton sang-froid ». Et puis surtout je m'étais dit « ce sont des spécialistes de la joute, des débats, ils vont toujours avoir le dernier mot. ». C’est le format de l’émission. 

C’était mon premier Talk show, mon premier album. J’étais le bon client pour être un peu cloué au pilori comme ça. Je ne pouvais tout de même pas imaginer à quel point. C’était enregistré un jeudi et diffusé le samedi. J’avais déjà mal vécu la séquence en live… j’ai été encore plus choqué en regardant à l'antenne, au moment de la diffusion. Peut être parce qu’il y a la dimension « humiliation publique ». 

Puis j’ai écrit un texte pour fermer le dossier. Avec l'écriture, avec les mots tu as le temps, tu as le droit de te tromper, de recommencer, jusqu'à arriver à ce que tu avais envie de dire au départ. 

RL : Est-ce que tu penses qu’il y a eu des conséquences sur ta carrière ?

GS : J’ai du mal à quantifier. En tout cas, c'est sûr qu'il y a des gens qui ont dû découvrir ce soir-là. Parce que cette émission avait une forte audience. 

Je sais aussi que j’ai eu beaucoup de soutien. Je me souviens d'un texto de Jean-Pierre Jeunet qui me disait « tu t'en fous, tu continues ton truc ». Lui aussi s'est fait dégommer quand Amélie Poulain est sorti. Je me souviens d'un mail aussi de Jeanne Cherhal, ça m’avait touché. Et ce qui m'a le plus marqué, c'est une inconnue dans le métro…

RL : attention on va te taxer de démagogie ! 

GS : ahah.. Je prends le métro le lendemain et une femme vient me voir et me dit « J’ai vu ce qui s'est passé. Ne l’écoutez pas, continuez vos chansons ».  Juste cette phrase là ça et puis elle est repartie.

J’ai halluciné de la portée du truc, j’imaginais pas que ça serait repris partout médiatiquement. Le lendemain c'était en Top Trend sur Twitter, Hanouna nous a appelé pour que je vienne réagir dans l’émission du lendemain. J’ai refusé mais ils en ont quand même débattus le lendemain en mon absence

RL : C’est là qu'ils sont forts à l’extrême droite, en embuscade sur le mépris de classe. C’est Quotidien ou son équivalent de l’époque qui aurait tu te contacter pour dénoncer cette séquence. 

GS : Ouais clairement, c'est une aubaine, c’est des voix pour eux très facilement. De toute façon je n’y suis pas allé. Je sortais de l'œil du cyclone, je n’allais pas y retourner. 

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