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La newsletter de l'autrice et créatrice du compte Préparez vous pour la bagarre

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Par Rose Lamy
9 avr. · 8 mn à lire
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E01 Rencontre avec Gauvain Sers : mépris culturel et rapport au réel. Partie 1.

Christine Angot, Ken Loach, Christophe Honoré & Guéret au programme de ce premier entretien avec le chanteur Gauvain Sers. Episode en deux parties. RDV Dans 15 jours pour lire la suite !

Avant de commencer, petit rappel promo pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi. J’ai sorti un Bingo des Bons pères de famille et du mépris de classe dans les médias en collaboration avec Anaïs Bourdet de Mauvais Cie. On a lancé des précommandes pour se faire une idée du nombre de cartons à fabriquer.

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J’entame cette première séquence de Newsletter par une interview. Ce n’est pas mon habitude si vous me suivez depuis cinq ans. Ma marque de fabrique, c’est plutôt de construire une analyse du sexisme à partir d’éléments existants dans les médias, qu’il s’agisse de titres de presse, de citations ou d’usages journalistiques. 

Le  discours classiste est tentaculaire et insidieux, ses racines et ses manifestations sont moins connues que celles du sexisme. Comme il est moins identifié par chacun de nous, il me semble que je ne peux pas utiliser la même méthode que celle dont j’ai fait usage pour le discours sexiste. Il nécessite un gros travail de pédagogie. 

Ainsi, en réfléchissant à la manière de présenter les choses, je vous propose de passer d’abord par le sensible, par l’humain, ce qui nous relie, pour comprendre et parfois observer la manière dont le mépris passe d’un corps à l’autre et affaiblit immédiatement le sujet humilié. 

Ma première rencontre, c’est avec Gauvain Sers, un artiste populaire, qui a subi de nombreuses attaques en mépris culturel dans les médias. L’une sur le plateau d’On n’est pas couché et porté par Christine Angot et l’autre dans un édito de Christophe Honoré publié dans Les Inrocks. 


« Rose Lamy : Bonjour Gauvain ! Avant toute chose, je dois commencer cette discussion par un message de ma sœur pour toi (je prends mon téléphone) : “Dis-lui que j’adore ce qu’il fait, son état d’esprit et que je l’ai vu il y a quelques semaines en gare de Vierzon”. C’est fait !  

Gauvain Sers : Ça me fait super plaisir, vraiment ! Et effectivement j'étais en gare de Vierzon il y a quelques semaines ! 

RL : Cette anecdote me permet de me présenter et de me situer un peu plus, et de préciser ce que j’entreprends aujourd’hui avec ce premier entretien. 

D’abord je tiens à dire que je viens de la région Centre, de la diagonale du vide et que j’ai été très sensible à ta chanson Les Oubliés et globalement à ton discours sur les zones rurales.  Je précise aussi que j’ai travaillé un temps dans la musique et que je t’ai découvert en 2016, parce que je partageais des bureaux à la Maroquinerie avec tes managers ! Je ne travaille plus dans la filière, je gère mon compte Instagram pour la bagarre depuis 2019 et j’écris des essais sur le sexisme médiatique. 

J’ai immédiatement pensé à toi quand j’ai décidé de parler de mépris culturel.

 J’ai pensé à toi parce que j’ai revu pas mal de documentaires sur les gilets jaunes, et que j’en ai vu chanter Les oubliés. Je n’arrive pas à remettre la main sur la séquence, c’était peut-être dans ma tête, une association libre. 

G.S. : Non c’est vrai, il y a une séquence qui existe. Soit c’est dans le documentaire de Ruffin J’veux du soleil, soit dans celui de Didier Varrod diffusé sur France 3.  Sur un rond point, des gens chantent la chanson et il y a une interview d’un homme qui dit qu’ils sont Les Oubliés. Dans mon souvenir, la manière dont il le dit est très touchante. 

RL: En tout cas, tu as pop up dans mon esprit et tu m’as paru être un bon invité, parce que tout en étant très populaire, en défendant les milieux ruraux, tu n’as jamais caché être de gauche, très à gauche, tu t’es toujours mobilisé contre le vote RN, et récemment encore contre la loi immigration dans une publication sur facebook. 

J'ai également lu une interview de toi dans l’Humanité que j’avais beaucoup aimé. A la question : Votre plus grand succès reste la chanson « les Oubliés » qui évoque, à travers une école menacée, l’abandon de la France rurale. Comment va cette France aujourd’hui?

Tu avais répondu :

J’y retourne souvent, notamment grâce aux tournées, et je ne suis pas sûr qu’elle aille très bien. Le résultat des législatives le rappelle. C’est dans ces endroits reculés qu’il y a tous ces votes extrémistes. Je n’en veux même pas aux gens. Je crois que ce n’est pas eux qu’il faut fustiger, mais plutôt une succession de décisions qui a amené à ce vote de désespoir. Il y a un sentiment d’abandon assez récurrent chez beaucoup de gens très différents, c’est pour ça que la chanson a résonné en eux. D’ailleurs, je reçois presque tous les jours des messages pour venir chanter « les Oubliés » dans des écoles. Je crois qu’être invisible, c’est ce qu’il y a de pire dans la vie. Mieux vaut carrément être détesté.

Et puis il y a les deux séquences médiatiques dont on va parler. 

L’une tirée de l’émission On n’est pas couché, animée par Laurent Ruquier diffusée en 2018 où tu te retrouves face à Christine Angot.


Et cet édito de Christophe Honoré publié la même année dans les Inrocks : 

https://www.lesinrocks.com/musique/chante-rance-par-christophe-honore-182507-27-09-2019/https://www.lesinrocks.com/musique/chante-rance-par-christophe-honore-182507-27-09-2019/

Méritons-nous vraiment de subir Gauvain Sers et Trois Cafés Gourmands ?

“La chanson populaire est parfois populiste. On aurait tort de ne pas s’en méfier. Ainsi, rien ne m’a plus terrorisé cette année que le clip de Gauvain Sers sur sa chanson Les Oubliés. Voir ce chanteur à l’air attristé, mis en scène dans une classe de carton-pâte, flanqué d’enfants filmés en gros plan comme des malades condamnés et qui tous reprennent en choeur : “Mais on sait bien ce qui se passe, on est les oubliés, la campagne, les paumés, les trop loin de Paris, le cadet de leurs soucis” m’a procuré un écoeurement que je n’avais pas connu depuis un mélange expérimental tenté à 15 ans à base de Get27 et de Baileys. 

Difficile de garder son calme face à cette idéologie gâtée qui prend le masque d’une complainte plaintive et résignée, mais d’une redoutable efficacité démagogique.

Difficile de ne pas s’affoler à l’idée qu’on puisse entendre cette chanson comme “ayant du sens et qui parle d’un vrai problème”. Les bonnes intentions n’ont jamais créé du sens, l’obscénité n’a jamais su exprimer les problèmes.

Vraiment, nous ne méritions pas ça. Il nous a déjà fallu endurer pendant des mois le “J’ai la Corrèze en cathéter” du groupe Trois Cafés Gourmands. Les dommages de ce genre de scies sont rarement évalués, pourtant il leur suffit de quelques notes pour s’installer, nous envahir, et se mettre à régner.

Quand c’est pour nous dire “l’été sera chaud, l’été sera chaud, dans les tee-shirts, dans les maillots”, il est tentant de se laisser faire, même si on conserve quelques doutes. Quand c’est pour faire semblant de nous plaindre et désigner nos oppresseurs, mieux vaut il me semble baisser le volume et de celui qui chante et de ceux qui l’écoutent.


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