Mon témoignage sur les coulisses de ma participation (ou non participation ?) au documentaire Netflix sur l'affaire Cantat.
Bonjour tout le monde,
Avant de me consacrer à la promo d’Ascendant Beauf – qui s’annonce incroyable ! –, je voulais vous parler du documentaire Netflix sur l’affaire Cantat, car j’ai reçu des dizaines de messages s’étonnant que je ne le partage pas ou que je n’y apparaisse pas.
Toute personne qui me suit depuis longtemps sait à quel point cette affaire a compté dans ma vie. Et je vais vous raconter les coulisses de ma participation au documentaire, et de mon éviction dans la dernière ligne droite (quand mes idées, elles, ont été conservées).
Je vous le confesse : j’ai plus à perdre qu’à gagner en faisant ce texte. Une réputation de personne difficile, ou égocentrique, parasiter la promo de mon prochain livre. Peut être un procès en diffamation ?
Je prends ce risque en conscience, persuadée que c’est sur notre silence et sur la peur de nous attaquer aux “grandes figures” que les personnes mieux situées sur l’échiquier social comptent, quand elles décident de s’approprier le travail de personnes moins connues et moins installées.
Chronologie :
Début 2022, j’ai été contactée par Karine Dusfour et Zoé de Bussierre pour participer à ce documentaire. J’ai enregistré environ 4 heures d’interview, non rémunérées – paraît-il que c’est la règle déontologique pour les documentaires. J’ai accepté ce deal en connaissance de cause et en toute confiance, parce que j’avais foi en leur approche et leur intégrité. J’ai considéré que la visibilité d’être sur Netflix compenserait le travail gratuit fourni pour le documentaire.
Pendant cet entretien, je suis revenue sur :
les origines de ma page Instagram, directement influencées par l’affaire : mon premier post est une citation de Cantat ;
mes souvenirs de l’affaire en tant que jeune femme de 19 ans en 2003, puis en tant que professionnelle de la musique ;
ma rencontre avec Lio, survenue après avoir publié son intervention chez Ardisson sur ma page Instagram en 2020 ; comment cette exposition l’a connectée au réseau féministe ;
mon premier livre Défaire le discours sexiste dans les médias, dont l’introduction revient en détail sur l’affaire, mon déclic féministe, et le traitement médiatique qui l’a entourée ;
mon article dans La Déferlante, paru quelques semaines plus tôt et qui avait attiré l’attention de Karine et Zoé.
Entre 2022 et 2025, à la demande de Netflix, d’autres co-réalisateurs·ices ont remplacé Karine et Zoé. Je l’ai appris deux jours avant la diffusion du documentaire (mars 2025), par un mail d’un co-réalisateur qui m’annonçait à ce titre que je ne serais pas retenue au montage.
J’ai répondu que c’était le jeu, que ça pouvait arriver. C’est vrai : c’est le jeu et cela arrive.
C’était dommage… mais pour tout dire, j’appréhendais un peu de me revoir à l’écran avec mon look de 2022 😅. Et puis, en apprenant que le documentaire avait été repris par une co-réalisatrice journaliste au Point – magazine avec lequel je suis très souvent en désaccord politique –, je me suis dit que c’était peut-être mieux ainsi.
Et puis j’ai regardé le documentaire. Etrange sensation que de comprendre que mes idées imbibent un documentaire dans lequel je ne suis plus. Mon visage et mon nom n'apparaissent pas , mais certaines de mes réponses, elles, sont là. Reprises. Réécrites. Récitées par une autre journaliste, et co-réalisatrice du film : Anne-Sophie Jahn.
Un double rôle qui pose d’ailleurs problème, même pour le journal Le Monde, sur le plan déontologique – mais ça, ce n’est pas vraiment mon sujet.
Le Monde :
“Si l’on passe outre son titre sans pincettes, ses effets de montage vaguement sensationnalistes et la déontologie un peu particulière de Netflix – Anne-Sophie Jahn, qui a coécrit, coréalisé la série et en est aussi la voix off, est interrogée face caméra au même titre que les autres intervenants –, De rockstar à tueur : le cas Cantat a le mérite, et surtout l’utilité, de rappeler de quelle manière étaient traités les féminicides jusqu’à ce que la vague #MeToo ne vienne bousculer tout cela.”
Voici deux éléments qui me semblent vérifier ce ressenti d’accaparement :
Plusieurs des commentaires d’Anne-Sophie Jahn semblent venir du travail que j’ai fourni à Karine et Zoé pour préparer les 4 heures d’interview. Mon long entretien avec elles était était basé sur un article dans la revue La Déferlante que je venais d’écrire. C’est d’ailleurs pour cette mise en récit chronologique des deux affaires Cantat – et parce que l’introduction de mon livre Défaire le discours sexiste parle aussi de l’affaire – qu’elles m’ont contactée.
Voici un extrait de mon texte dans La Déferlante, écrit quelques semaines avant l’interview et sur lequel je me suis basée pour répondre à leurs questions :
“En cet été de grande canicule, les médias français se saisissent de l’affaire, qui remplit les colonnes et les écrans – les réseaux sociaux, rappelons-le, n’existent pas encore. Largement relayées, les premières explications du chanteur devant la police lituanienne reprennent le mythe patriarcal de « la dispute qui a mal tourné ». Bertrand Cantat affirme avoir poussé Marie Trintignant, qui serait tombée sur un radiateur – une version qui restera longtemps imprimée dans les esprits.”
Et l’introduction de Défaire le discours sexiste dans les médias :
“Nous sommes le 1er août 2003, j’ai 19 ans et j’apprends à la télévision que Bertrand Cantat, leader du groupe Noir Désir, a assassiné Marie Trintignant. Mes premières pensées vont à ma sœur aînée qui, quelques mois auparavant, m’a donné ses places pour leur concert au Zénith d’Orléans, en se disant qu’elle irait une autre fois. Ce qui m’attriste d’abord, comme la plupart des gens à ce moment-là, c’est la possible fin de carrière de l’artiste, et c’est à peine si je prends la mesure de la fin de vie bien réelle de l’actrice. [...]”
Et voici ce que déclare Anne-Sophie Jahn, dans le documentaire Netflix :
“À l’époque, les réseaux sociaux n’existent pas, mais sur des blogs spécialisés, les discussions s’enflamment. Quand je lis ces commentaires, je réalise que les gens s’inquiètent autant pour la santé de Marie Trintignant que pour l’avenir du groupe Noir Désir.”
Quand elle dit : “quand je lis ces commentaires” – elle suggère une expérience vécue.
Pourtant, dans son propre livre Désir noir, elle écrit : “J’ai entendu la voix de son chanteur Bertrand Cantat pour la première fois en 1997, dans une boum. J’avais 12 ans. [...] Pendant vingt ans, je n’ai plus pensé à Bertrand Cantat. Et puis un après-midi d’automne, en 2016 […] je listais avec mon éditeur les sept péchés capitaux du rock, titre de mon premier livre, […] que je couvrais comme journaliste au Point.”
Elle écrit donc elle même, ne pas avoir pensé à Cantat entre 1997 et 2016. Elle n’évoque aucun souvenir de 2003, aucune sidération, aucune lecture de commentaires à l’époque.
Alors, forcément, je me pose quelques questions :
- Qui, en 2003, lisait réellement les commentaires en ligne ?
- Qui a été sidérée par le traitement médiatique ?
- Qui en a fait un levier de sa pensée féministe ?
- Qui a écrit sur cette affaire pendant dix ans ?
Les mots ne sont pas seulement appropriés. C’est toute une mémoire, un regard, qui ne peut pas lui appartenir – puisqu’elle affirme elle-même ne pas y avoir pensé entre 1997 et 2016.
Le 1er août 2019, j’ai publié un extrait de l’éditorial signé Jacques Lanzmann (Libération, 2003) sur ma page Instagram. Je l’avais trouvé dans le cadre de mes recherches.
Il m’a accompagnée dans tous mes écrits :
2021 : Défaire le discours sexiste dans les médias
2022 : La Déferlante
2023 : En bons pères de famille, où le passage “Les mots font plus mal que les coups” devient même un chapitre entier.
Je crois que personne n’a autant écrit que moi sur cet édito. C’est mon côté obsessionnel. Vous me connaissez.
Anne-Sophie Jahn, elle, ne l’a jamais mentionné : ni dans son article de 2017, ni dans son ouvrage Désir noir publié en 2023 et qui l’a fait connaître en tant qu’experte de l’affaire.
Pourtant, dans le documentaire, face caméra, elle dit :
“Dans un éditorial, on peut lire : ‘Les mots font plus mal que les coups’. Il parle de mots qui castrent. Donc les mots de Marie Trintignant ont fait plus mal que les coups de Bertrand Cantat.”
Et voici ce que j’avais écrit, moi :
🔹 Défaire le discours sexiste dans les médias :
“Dans Libération, Jacques Lanzmann estime que la violence de Bertrand Cantat est une réponse aux provocations verbales de Marie Trintignant : ‘On frappe. On frappe pour faire taire les mots qui tuent. On frappe pour en finir avec les mots’, parce que ‘les mots font plus mal que les coups’.”
🔹 La Déferlante :
“Minimiser, c’est aussi donner une importance égale aux paroles de Marie Trintignant et aux coups de Bertrand Cantat. En septembre 2003, dans une tribune publiée dans Libération, l’écrivain Jacques Lanzmann estime que les coups de poing sont une réponse justifiée aux provocations verbales de Marie Trintignant : ‘On frappe. On frappe pour faire taire les mots qui tuent. On frappe pour en finir avec les mots’, parce que ‘les mots font plus mal que les coups’.”
A partir de ces observations, deux conclusions sont possibles :
Soit on m’a coupée au montage, et on s’est passé de mon travail : et alors, on ne me doit rien.
Soit on a utilisé mes entretiens, mon analyse, comme je l’ai démontré, et comme le suppose le mail envoyé par le co-réalisateur qui évoque “mon regard précieux” et ma “contribution” et on me doit d’être citée. Et pas seulement dans les remerciements à la fin, comme consultante ou experte.
Une fois ces choses exposées, j’ai envie de laisser cette histoire derrière moi.
Parce que je ne manque pas, moi, d’idées originales, et que je veux continuer à les partager.
Parce que j’ai dit tout ce que j’avais à dire sur l’affaire Cantat.
Parce que la sortie d’Ascendant Beauf s’annonce prometteuse, lumineuse, et que je veux profiter de tout ce qui m’arrive.
Merci pour votre patience dans la lecture de cette démonstration. Merci pour votre soutien indéfectible.
Restons toujours honnêtes.
Et bons baisers de Bruxelles,
Rose Lamy