#3 Les prénoms "beaufs". Entretien avec le sociologue Baptiste Coulmont.

Kevin, Kimberley, les beaufs, Victor Hugo et Baptiste Coulmont au sommaire de cette newsletter qui aborde la question des prénoms et de la distinction sociale qu'ils permettent.

DISCLAIMER : Ce texte a été écrit bien avant la mise à pied de Guillaume Meurice à qui j’apporte tout mon soutien, ainsi qu’aux grévistes de France Inter. Critiquer n’est pas agresser, ni souhaiter le silence. C’est discuter pour mieux faire.

 

Un dimanche soir comme un autre sur France Inter. 


Une humoriste que je ne connais pas commence son sketch. Je ne retiens pas son nom, il n’est pas important.

Jordan Bardella 4e personnalité politique préférée des français. Mais vous vous rendez compte ? Y a moyen qu’un jour en France y ait un président qui s’appelle Jordan… Moi je l’imagine à rivaliser en roue arrière, chaussettes-claquettes, coupe mulet… Premier ministre Kevin, ministre de la culture Kimberley. Ah non on nous bassine avec l’islamisation des prénoms, on ne nous parle jamais de la beaufication des prénoms. Ah moi je veux une enquête exclusive dédiée à eux, vraiment : Brandon, Dylan, Kelly : Qui sont ces gens ? Nous avons enquêté sur leur gourou, un dénommé Cyril Hanouna

Je suis en colère, mais en essayant d’écrire pourquoi, rien ne vient. Je suis d’abord sidérée par la violence symbolique de ce qui vient d’être diffusé. A y regarder de plus près, si je suis piquée par le sketch, c’est que je suis la beauf de cette blague. Je ne m'appelle pas Kimberley, mais j’ai sûrement plus de points communs sociaux et culturels avec elle qu’avec les personnalités autour de la table du talk show. Une meuf élevée en milieu rural, fille d’un fan de Johnny, qui a porté la coupe du mulet dans l’enfance, et échangé son premier baiser avec un amateur de tuning de Vierzon.

 Quand la sidération se dissipe, je me vois effacer les mots que je commence à écrire. C’est l’autocensure qui pointe désormais, la peur de mal dire ou mal faire, et la haute conscience que m’aventurer sur le terrain de la critique du mépris de classe m’est interdit. C’est que tout le monde n’a pas voix au chapitre quand il s’agit de parler de classes sociales.

“Les classes dominées ne parlent pas, elles sont parlées”

La bourgeoisie n’accepte que vous soyez de conditions modestes, que si vous passez par le sas de décontamination qu’ils ont prévu avant de débarquer chez eux : être repéré dans l’enfance, et suivre la scolarité type : prépa et écoles d’élites. On n’en ressort pas seulement avec un bagage intellectuel et culturel, mais avec  des codes, une manière de se tenir, de s’habiller, de parler. 

 Je viens des réseaux sociaux moi. Ma parole n’est pas polie. Ma trajectoire a plus à voir avec celle d’une gagnante au loto ou d’un personnage de télé réalité, qu’à celle d’une héroïne de la méritocratie à la française qui serait devenue une intellectuelle. Alors quand je parle de classe, je n’y peux rien, je représente un risque. On me soupçonne de complaisance avec le RN ou pire, de faire du Soral. 

Je suis et je reste « beauf », contaminée par la bêtise et l’inculture pour toujours.

On me préférerait en objet d’étude sur la classe sociale, plutôt qu’en sujet qui parle pour lui-même. C’est Bourdieu, cité par Gérard Mauger, qui le dit « dominées jusque dans la production de leur image du monde social et, par conséquent de leur identité sociale, les classes dominées ne parlent pas, elles sont parlées ». La représentation des classes populaires est ainsi « d’abord un enjeu de luttes entre les intellectuels qui les parlent » précise Gérard Mauger.

 Je ne suis pas universitaire, certes, mais il me semble tout de même que ça ne donne jamais rien quand on confisque à une catégorie de la population sa capacité à penser ou à agir pour elle-même, quand on croit qu’on sait mieux qu’elle ce  qui est bon pour son émancipation. 

Je ne suis pas universitaire alors j’ai contacté Baptiste Coulmont, professeur de sociologie à École normale supérieure Paris-Saclay et auteur du livre Sociologie des prénoms pour commenter cette séquence.


RL : Quel lien établissez-vous établissez dans votre ouvrage entre classes sociales et prénoms ? 

...

Préparez-vous pour la newsletter

Préparez-vous pour la newsletter

Par Rose Lamy

Les derniers articles publiés