Pourquoi les hommes sont-ils si décevants ?
Difficile de choisir un sujet pour inaugurer cette première newsletter. J’ai fait un gros break pour me remettre de 8 mois de promo intensive, j’ai changé de ville, de pays, j’ai fait un road trip loin d’internet, je me suis cassée une main… Heureusement, le patriarcat ne prend jamais de repos, et l'inspiration est très vite revenue ! Je vous propose de revenir pour ce premier épisode sur « l’affaire Quatennens ».
Jean-Luc Mélenchon et Adrien Quatennens lors de l'assemblée représentative de La France Insoumise à Paris 23 juin 2019 AFP - GEOFFROY VAN DER HASSELTCe sont les mots d’Adrien Quatennens dans le communiqué qu’il a partagé dimanche 18 septembre, sur Twitter.

Il y évoque la main courante que sa femme Céline Quatennens a déposé contre lui. « Je sais les faits qui peuvent m’être reprochés et le plus simple est peut-être de les dire ». Tiens, un homme qui assume, c’est assez rare pour être signalé. Curieuse et enthousiaste, je lis.
« Dans ce contexte de séparation, j’ai envoyé de trop nombreux messages à mon épouse pour la convaincre que nos difficultés de couple pouvaient être dépassées ». Ça fait beaucoup de lettres pour écrire le mot « harcèlement », mais ce n’est presque plus le problème au regard de ce qui est révélé en parallèle.
Il évoque en effet plusieurs disputes. Dans l’une d’elles, il explique lui avoir « saisi le poignet », dans un « contexte de rupture de communication ». L’absence d'adjectif qualifiant le verbe « saisir » nous laisse le choix de piocher la définition du verbe qui convient dans le dictionnaire : « Prendre quelque chose avec la ou les mains, d'un mouvement rapide, pour le tenir ou s'y retenir fermement » ou « Retenir brutalement quelqu'un, un animal pour l'immobiliser, le maîtriser ». Lors d’une « dernière dispute ».
Il reconnait ensuite avoir « pris son téléphone », sans plus de précisions accompagnant le verbe innocent « prendre ». Prendre un café, prendre la main. On devine que l’acte ne devait être ni doux, ni consenti, puisque pour le récupérer elle lui aurait sauté sur le dos. Pour se défaire de son emprise – à elle, suivez s’il vous plait -, il aurait, dans un geste, provoqué le cognement de son coude. « Je me suis dégagé et en me relâchant, elle s’est cogné le coude ». C’est un concours de circonstances malheureux, un enchainement mécanique de prises et de relâchements, qui font qu’un coude finit par se cogner comme un grand. En aucun cas, le point de départ de la scène n’est l’emprise d’un homme qui souhaite confisquer à sa compagne un outil de communication qui lui permet de fuir ou de chercher de l’aide !
Tout est justifié par un contexte, celui de la séparation. Et pourtant, il y a un an, dans un autre "contexte" , cette fois « d’extrême tension et d’agressivité mutuelle », il confesse lui avoir donné une gifle. Un véritable « don » effectivement, mais, allez, je pinaille, il n’est pas responsable du fait que la langue française associe les mots « gifles, claques, coups » au verbe « donner ».
Tous les épisodes mis bout à bout me font penser qu’il s’agit probablement de la partie immergée d’un iceberg d’emprise et de violences dont les épisodes décrits sont les manifestations les plus spectaculaires. Disons que j’ai un peu d’expérience sur le sujet. Si je suis sonnée à ce stade, ce n'est pas par les faits que je sais banals, mais parce que je réalise que les hommes supposés défendre un projet politique féministes ne sont pas plus informés sur la question des violences de genre que le premier homme médiocre sur Twitter. Car le nœud du communiqué est là : Adrien Quatennens écrit : « Je suis un homme de dialogue. Je ne suis pas un homme violent. Je déteste la violence et spécialement envers les femmes ». Là mon cerveau, biberonné au bon sens populaire explose. Il est un homme, qui reconnait avoir factuellement commis des actes de violence, mais il n’est pas un homme violent. Qu’est-ce qu’un homme violent, si ce n’est un homme qui harcèle, empoigne, gifle dans un contexte conjugal ?
Je fais mine d’être naïve, mais je sais exactement ce qu’il veut dire. Il croit qu’il existe un « profil » d’hommes monstrueux, les hommes violents et misogynes par essence, les autres, les « pas eux ». Tenir un compte féministe et dénoncer les violences sexistes c'est l'assurance de recevoir plusieurs fois par jour des messages d'hommes qui vous disent "pas tous les hommes". Certes captain obvious, mais encore ? C'est là, le niveau de remise en question de ce groupe social qu'on a toujours présenté comme la perfection. Quand ils concèdent qu'il y a un problème - ils sont obligés avec la multiplication des affaires depuis me too - il reconnaissent en creux qu'il y en a peut être qui sont violents. Les hommes violents sont présentés comme des exceptions à la norme (qu'ils incarnent) : ils sont des monstres pervers, ou pauvres, alcooliques, racisés, musulmans, migrants. Surement pas eux ou leurs amis, des hommes éduqués, cultivés, blancs, et alors, excusez moi mais encore moins les hommes de gauche ! C'est vrai ! Cantat, DSK, Polanski, Hulot… si on regarde, ce n’est jamais vraiment eux. S’ils sont coupables de quelque chose, parce qu'ils sont bien obligés de se justifier quand ils sont pris la main dans le sac, c’est d’avoir provoqué des accidents, des maladresses, ou autres troussages de domestiques, d’être un peu trop lourds, séducteurs ou amoureux, ou victimes de complots ourdis par l’extrême droite pour neutraliser des adversaires trop dangereux.
Si un homme factuellement violent, est incapable de le reconnaitre, il en va de même pour ses amis.
« La malveillance policière, le voyeurisme médiatique, les réseaux sociaux se sont invités dans le divorce conflictuel d’Adrien et Céline Quatennens. Adrien décide de tout prendre sur lui. Je salue sa dignité et son courage. Je lui dis ma confiance et mon affection. »

Ce n’est pas un divorce conflictuel, la gifle a été donnée un an auparavant. Il « décide de tout prendre sur lui » : mais de quoi accuse-t-on Céline Quatennens ? On sent pointer la vieille rengaine de la dispute qui a mal tourné, des mots qui font plus mal que les coups. Désolée, on adhère plus à ce mythe depuis l’affaire Cantat et tout ce qui a été écrit dessus. Et là me vient une question : est-ce que vous lisez les féministes et tout ce qu’on se casse le cul à écrire depuis des années ?
Rien n'a changé concernant la solidarité masculine depuis toutes ces années. Il s'agit toujours de justifier, excuser les hommes, quitte à instrumentaliser l’expérience d’une femme, et de toutes celles, comme moi, qui assistent à la scène de leur lamentations publiques. C’est un gaslighting sociétal : ils nient des faits ou les déforment, contournent la logique même du langage, de l’agencement des mots, pour imposer une croyance, une version de la réalité qu’ils opposent à notre expérience du réel observable, partagée, factuelle, parfois même sourcée par des études. Qui sont les êtres irrationnels de l’histoire ? Un peu d’honnêteté intellectuelle, les hommes. Toute personne est traversée par la violence, même les femmes. D’ailleurs vous ne vous êtes pas privés pour le rappeler pendant le procès d’Amber Heard. Mais vous, le groupe social béni des dieux, vous êtes au dessus de tout ça. Pas besoin d'y réfléchir à deux fois.
« Céline et Adrien sont tous les deux mes amis. Mon affection pour lui ne veut pas dire que je suis indifférent à Céline. Elle ne souhaitait pas être citée. Mais je le dis : une gifle est inacceptable dans tous les cas. Adrien l’assume. C’est bien. »

Il a un goût de Macronie ce « c’est bien » nan ? C'est le son patriarche, juge et parti qui dans sa grande mansuétude conclue que c'est réglé, « d’homme à homme ». Du coup on passe à autre chose c’est ça ?
Ce n’est pas prêt d’arriver. Et si je me réjouis de quelque chose concernant cette affaire, c'est la vitalité des militantes féministes qui ont inondé réseaux sociaux et médias avec la "vraie" version du récit qu'ils ont essayé de nous imposer. Tant que les hommes, et particulièrement ceux qui se prétendent alliés victimes et des féministes ne reconnaitront pas qu’ils font partie d’un groupe social qui violente la classe entière des femmes, et qu’ils bénéficient des violences exercées sur elles par tous les hommes – dont eux à différents moments de la vie – rien ne changera.
Bons baisers de Bruxelles,
Rose.
Mon prochain livre, un projet collectif que j'ai dirigé, et regroupant les textes d'Angèle, Rokhaya Diallo, Elvire Duvelle-Charles, Camille Froidevaux-Metterie, Lexie, Christelle Murhula et Reine Prat sortira le 12 octobre 2022.
Il est déjà en précommande par ici, et on se retrouve à Paris au Merle Moqueur pour la soirée de lancement le 11 octobre !
Voici les titres et sous-titres des textes :
CAMILLE FROIDEVAUX-METTERIE. Une révolution intime et politique. Dénoncer les violences, réclamer le plaisir, ébranler le patriarcat.
ELVIRE DUVELLE-CHARLES. Le tribunal (im)populaire. Réparer la justice patriacale.
ROKHAYA DIALLO. Me Too : avant et au-delà. La libération de toutes les femmes passera par la libération de celles qui sont confrontées aux plus graves exclusions.
ANGÈLE. Devenir féministe. L’histoire de « Balance ton quoi »
ROSE LAMY. Le procès en diffamation contre Amber Heard. Une bataille, pas la guerre.
LOUZ. Le fémonationalisme à l’ère de #MeToo. Quand le féminisme est instrumentalisé à des fins racistes.
CHRISTELLE MURHULA. L’avènement des femmes puissantes. #MeToo à l’épreuve du capitalisme.
LEXIE. Un féminisme transphobe. Opposition idéologique ancienne et nouvelle vague conservatrice.
REINE PRAT. Révolution ? ou guérilla ? La surprenante résistance des milieux culturels à #MeToo.
Bien sûr, neuf témoignages ne sauraient épuiser la diversité des problématiques liées à #MeToo, mais la quête d’exhaustivité peut mener à la précarisation des moyens et c’est un choix assumé que de limiter le nombre de contributrices. Nous espérons par la suite pouvoir continuer cette enquête en interrogeant d’autres réalités situées.
