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La newsletter de l'autrice et créatrice du compte Préparez vous pour la bagarre

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Par Rose Lamy
21 juil. · 2 mn à lire
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Lettre à une (in)connue

Je ne sais pas qui tu es, je ne connais que ton âge, et pourtant, c’est comme si je t’avais toujours connue.

Ton histoire je l’ai suivie à travers les médias, il y a quelques mois. Tu as accusé Ary Abittan de t’avoir violée. Tu t’es rendue au commissariat en sortant de chez lui, juste après. Au départ tu ne voulais même pas porter plainte, tu voulais déposer une main courante pour ne pas nuire à sa carrière. Tu ne voulais faire de mal à personne, seulement te défendre.  Le procureur s’est saisi du dossier et l’a transformée en plainte. C’est quelque chose qu’ils  peuvent faire. On t’a forcé à prendre la voie judiciaire, pour ensuite te massacrer en estimant que, même si les preuves étaient substantielles, et ton stress post traumatique bien réel, la justice ne considérait plus ton violeur présumé comme un coupable potentiel, mais comme un témoin assisté. 

Extrait d'un article Le monde Extrait d'un article Le monde

Ton corps blessé, ton sang, tes larmes, ne pèsent pas assez lourd face à la confiance aveugle que le système place dans la moralité des hommes. Un groupe d’expert.es psy a tranché : celui que tu accuses n’est pas un homme violent, parce qu’il s’est déjà bien comporté avec d’autres partenaires et qu’il n’a pas montré de signes d’une « sexualité déviante ». En somme, puisqu’il n’est pas un monstre, par essence, qu’il ne se comporte pas comme un tueur en série marginal, alors il devient incapable d’actes monstrueux. C’est la fable que nous raconte le système patriarcal depuis notre enfance : les femmes et les enfants doivent craindre les monstres qui rôdent dans l’espace public, jamais les hommes qui occupent avec eux la sphère privée et familiale. Pourtant c’est à cet endroit où l’on baisse la garde, que sont commis 91% des viols en France. (Source : Assemblée Nationale. Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le viol, 22 février 2018.)

Nous le savons bien nous, qu’il n’y a pas de profil, que des hommes charmants, gentils, qu’on aime parfois - ceux qu’on laisse s’approcher doivent bien montrer patte blanche tant on nous a mis en garde contre le grand méchant loup - peuvent, par opportunisme, parce qu’on leur a appris que ce n’était pas très grave, et parfois même en toute inconscience, défoncer toutes nos frontières et annexer nos corps. Nous violer, juste parce que c’est possible. 

Est-ce que les intentions d’un bourreau compte plus que la matérialité des violences ? Apparemment oui, pour la justice. Mais pas pour nous. Je reçois des centaines de messages de colère par heure depuis que j’ai partagé ton histoire sur Instagram. Sais-tu à quel point nous sommes nombreuses à crier et à enrager contre le système qui t’écrase ? Est-ce que ça t’aide ? J’espère que notre soutien pourra éponger, en partie, la violence que la justice patriarcale et leur science d’un autre âge ont ajouté à ta peine. 

J’ai eu envie de faire une tribune, une pétition, une cagnotte : et puis après quoi ? Elles se suivent, se ressemblent, et s’oublient aussi vite qu’elles sont lancées. Le système est sourd aux souffrances des femmes et des enfants, aux statistiques, aux études, aux coups de gueule, parce qu’il repose sur des mythes misogynes et une idéologie quasi complotiste contre les femmes qui auraient un intérêt à accuser les hommes de violences sexuelles.

Je ne crois plus qu’en nous, à notre incroyable intelligence collective, à notre amour, à notre solidarité et à l’empathie que nous pouvons nous envoyer à travers cet espace public où l’air est irrespirable.  

 Je te crois, tu n’es pas seule, il n’avait pas le droit.